in camera présente un ensemble de tirages de Frank Horvat autour du thème de la femme, dont la célèbre demoiselle au chapeau de Givenchy. Réalisées en studio ou en extérieur, et toujours sources d’imprévu, ces photographies montrent comment Horvat s’est affranchi des codes du regard…
« J’ai photographié la mode avec mauvaise conscience », dit aujourd’hui Frank Horvat, qui fêtera bientôt ses 90 ans. Ce n’est pas un aveu, ce polyglotte n’a jamais caché sa passion pour le reportage cher à Henri Cartier- Bresson. Et même, ajoute-t-il avec un sourire radieux, « j’aurais aimé lui ressembler ». Comme HCB, il a beaucoup voyagé, et appartenu un temps à l’agence Magnum.
Installation en France en 1956 et premières parutions, notamment dans Jardin des modes, le magazine créé par Lucien Vogel en 1922. La mode s’imposera naturellement à lui dans un Paris cousu d’or, Dior, Chanel, Grès… Sans façon, Frank Horvat normalise ce territoire de frivolités, auquel il donnera, dès les années soixante, une respiration énergique, en glissant dans ses photographies de l’imprévu, « ce cadeau du ciel ».
S’il n’est pas le premier à partir à la conquête de la rue – on se souvient du Hongrois Martin Munkácsi et de ses pirouettes en plein air -, il est l’un des rares à s’y plaire. Il se sent mal à l’aise en studio, la mise en scène l’ennuie, et certains modèles aussi, trop soucieux de leur miroir. Horvat : « Photographier miss Monde ou ses avatars n’a aucun intérêt. La beauté est un critère stupide, défini par une absence de défauts que les filles croient masquer avec du maquillage. Or, ce sont justement ces défauts, un nez tordu, des rides, une petite cicatrice, qui sont la vraie beauté. Moi, je ne voulais pas que les mannequines soient belles, je voulais les faire belles, je mettais en valeur leurs imperfections. » Plus que sur la séduction (« j’aurais aimé être un séducteur, je me donnais de l’importance, mais j’étais surtout maladroit »), cet homme en quête d’absolu joue sur « le dépouillement et la difficulté. Il s’agit de gratter la pierre, de creuser la matière et d’envahir le temps jusqu’à trouver la lumière ». Sa référence : la lumière du Nord, celle des peintres flamands, comme celle qui baignera plus tard son propre studio où, précise-t-il, « rien n’est esthétique, tout est calculé pour que la lumière soit bonne ».
Tout doit s’accorder selon son désir. L’essentiel, c’est qu’une photographie advienne, comme ça, presque par inconscience et non par nécessité : « Par exemple, ces amoureux sur le quai du Louvre, à Paris, trois secondes avant, je ne les avais pas vus, et je ne prévoyais pas de les photographier, évidemment. Voilà, c’est ça qui m’intéresse, la surprise, non pas l’impulsion, la reconnaissance, oui, voilà c’est le mot-clef. Reconnaître quelque chose en moi, et reconnaître quelque chose que j’ai vu. »
Cet ennemi des faux-semblants s’est imposé ses propres impératifs, sans chercher à plaire. Essayant un nouveau téléobjectif à la gare Saint-Lazare qu’il transforme en salle de bal panoramique. Saisissant une fille au corps de marbre, au cabaret le Sphinx, devant un noctambule impassible. Ou lui-même hypnotisé par une jeune fille nue, de dos, et dans de jolis draps…
Les femmes sont présentes dans la vie de Frank Horvat comme dans ses archives photographiques. Elles ne sont pas des proies ou des trophées : « Je ne fais pas partie de ces hommes qui se retrouvent au golf ou à la chasse. J’ai toujours préféré la compagnie des femmes, y compris dans mes photographies, et leur faire la cour n’était pas au programme ».
Il le dit avec lucidité. Il est pourtant tombé amoureux des sculptures de Degas, dont il a immortalisé patiemment les miniatures patinées. Un travail empli d’une sensualité très discrète, à fleur de peau. Sa griffe.
Brigitte Ollier, février 2018