Pour déjouer toute nostalgie, Frank Horvat a choisi la couleur pour photographier New York. En une vingtaine de tirages impression Fine Art, il décrit l’attraction irrésistible de la ville-monde, son exubérance, sa vérité.
La couleur n’est pas une rupture pour Frank Horvat. Ni une fatalité. Une expérience ? Le mot est juste si l’on écoute ce qu’il dit aujourd’hui : « J’ai photographié en couleur sans trop y penser. La couleur en elle-même ne me motivait pas, mais j’en ai tenu compte, je ne suis pas comme Saul Leiter, que j’admire, un coloriste impliqué. »
Pourquoi ne pas avoir choisi le noir & blanc pour affronter New York en plein hiver ? Frank Horvat voulait déjouer la nostalgie. Et le déjà vu, sa bête noire… « Mon souci était, si possible, d’éviter les redites et le style fleur bleue. Je voulais de l’inédit, c’est pourquoi j’ai préféré les mauvaises saisons, l’hiver ou l’été, quand il faisait trop froid, ou trop chaud. Il fallait que cela soit inconfortable, il ne se passe rien un matin de printemps radieux » .
C’est l’un de ses atouts, cette lucidité qu’il a déjà mise à l’épreuve dans la mode ou les paysages ou face aux sculptures de Degas, sans renoncer à sa fougue de reporter. D’où son New York, up & down, entre gratte-ciel et passage souterrain, exaltation et déprime, presque en apnée, comme s’il tenait personnellement tête à la ville-monde. Horvat contre Big Apple ? « J’aime profondément New York, je m’y sens chez moi, même si cette métropole ne fait pas de cadeau. Tout y est cash, empli d’une certaine brutalité, et ça me plaît. Il y a aussi cette exubérance, impossible de tout regarder, il faut revenir sur vos pas, et c’est ça qui est beau, cette profusion inespérée, comme la peinture de Pollock ».
Ce qui relie Horvat à New York, ce sont ces inconnus croisés au hasard des stations de métro et des rues de Manhattan. Il n’a pas parlé avec eux, il les a pris à la volée, immobilisés, encadrés. Aucun n’a résisté à cette greffe inattendue, ils apparaissent soudés au réel, ce sont des figurants consentants. « Je n’ai pas rencontré d’hostilité », précise le photographe, qui n’élimine pas l’émotion, « nécessaire et inévitable », dont il s’abstrait à la prise de vues : « Photographier permet de s’extirper du sentiment ».
Plus que la quête des visages ou les situations sur le fil du rasoir, ce qu’il cherche, c’est « la justesse de la composition ». Soit ce signe de distinction parfois invisible au premier regard, mais qui ancre la scène dans son milieu naturel. La photo ne doit rien au décalage horaire.
On s’en aperçoit avec la couleur qui irrigue New York à l’infini. La vieille dame aux sourcils voûtés. Le dalmatien attendant son maître. Les graffitis. Les ballons. La fraîcheur des toits enneigés. La solitude des passagers du métro. À chaque fois, à chaque tonalité, débute une histoire qui entraîne l’imaginaire car Frank Horvat a cette capacité de suggérer le hors champ, sa photo n’a ni fin ni frontière. De là vient la force de son New York des années 80, sa profondeur, sa vérité.
Brigitte Ollier, novembre 2019